Retour de la distribution de tickets Doucheflux ce dimanche matin à la gare du nord, dans cette partie réservée qui offre malgré tout une fragile protection à nos amis. Je compte 144 dormeurs et une quinzaine de cartons vides, ceux des lève-tôt. Beaucoup de nouvelles têtes. Ils viennent vers moi : »I am new here », « no family », « I come from Calais, three days no eating », « I am hungry, no food », « three months, never family, no sleep ». J’essaye d’expliquer le nouveau système, les familles lundi et vendredi, l’enregistrement au « camp » si des places se libèrent, le passage des mères nourricières Myriam, Françoise R… Je vois des visages fatigués, certains cabossés, recousus, balafrés; des yeux hagards, rougis de trop de nuits blanches. Ont-ils vraiment mérité ça? Moins bien traités que nos chiens et chats. Sommes-nous vraiment si indignes en les recevant si peu dignement? Nous, les 40 000 et quelques, on peut faire encore beaucoup plus et encore beaucoup mieux. Alors, vous qui nous lisez au quotidien et qui n’avez jamais hébergé, vous qui vous tâtez, vous qui hésitez pour mille bonnes ou mauvaises raisons, franchissez le pas et jetez-vous à l’eau. Pour eux, et pour vous, vous ne le regretterez pas. La peur est toujours mauvaise conseillère, elle empêche de vivre et nous condamne au repli sur soi. Elle fait passer à côté de moments « bigger than life », comme disent les voisins d’en face. Mais vous pouvez la déjouer en saisissant cette occasion qui vous est donnée de partager des expériences intenses. Au point qu’elles changeront votre vie. Et ce ne sont pas des formules. Je sens dans mon dos la forte poussée de toutes celles et de tous ceux qui ont ouvert leur porte, leur coeur depuis des années, des mois, des semaines. Je sens sur ma nuque le souffle de leurs mots: « oui, c’est bien ça, c’est juste et tellement ça. Allez-y aussi. Et quand vous pendrez leur main, nous, on tiendra la vôtre. On sera là avec vous, pour eux ».