J’ai été ému plus que je ne pourrais dire par cette tendresse qui fleurissait, là, au cœur de leurs histoires, comme un gerbera sur un terrain d’immondices.
Ainsi donc, mardi soir, j’ai fait un crochet par le Parc Maximilien pour véhiculer une huitaine de gars.
Non : sept gars et une femme.
Peut-être la population qui rejoint le Parc n’est-elle pas représentative de tous les migrants qui cherchent un abri (certains passent directement d’un hébergeur à un autre sans passer par la case du Parc), mais force est de constater que les hommes sont très majoritaires parmi ces gens auxquels cela fait du bien d’être traités, le temps d’une nuit (et si possible d’une deuxième, puis d’une troisième), comme des humains.
Bon. Mardi, donc, sur le trottoir près de la cabine de bus (certains visualisent !) un jeune homme et une jeune femme se dressaient, parallèles, vers le ciel, distants l’un de l’autre d’à peine quelques centimètres. Ses mains, à lui, lui tenaient ses épaules, à elle. Ses bras, à elle, se tenaient contre son corps, à elle. Ses yeux, à lui, étaient vissés dans ses yeux, à elle. Ses yeux à elle, étaient rivés dans ses yeux, à lui.
Combien de temps le temps s’est-il arrêté là, pour eux et pour moi devant ces statues vivantes qui ne sont qu’un seul chef-d’œuvre ? Quand l’éternité se fait dense, ou danse immobile, les secondes ne se comptent plus. J’espère que mon regard ne fut que fugitif, respectueux de la pudeur qui sied à une scène à laquelle je suis étranger.
J’ai pensé à la chanson de Brel, Orly, avant la séparation.
Ils sont plus de deux mille
Et je ne vois qu’eux deux
La pluie les a soudés
Semble-t-il l’un à l’autre
Ils sont plus de deux mille
Et je ne vois qu’eux deux
Et je les sais qui parlent
Il doit lui dire: je t’aime
Elle doit lui dire: je t’aime
Je crois qu’ils sont en train
De ne rien se promettre
C’est deux-là sont trop maigres
Pour être malhonnêtes
Sans plus de sac à dos visible, ils se trouvaient être, mutuellement, le seul bagage de l’autre.
J’ai été ému plus que je ne pourrais dire par cette tendresse qui fleurissait, là, au cœur de leurs histoires, comme un gerbera sur un terrain d’immondices.
J’ai été reconnaissant à la pluie dont les gouttes se déguisent en larmes pour, avec pudeur, voiler nos émotions.
J’ai aimé qu’on leur foute une paix royale ; ces migrants ne sont pas des islamistes castrateurs de tendresse comme d’aucuns s’efforcent de le faire croire pour alimenter les peurs qui les font élire.
J’ai aimé que leur vie qui offre dix, vingt, cinq cents, trois mille occasions d’opter pour la sauvegarde de soi, pour la poursuite de son seul intérêt personnel, n’ait pas eu raison de « cela ».